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Au début la descente se passe bien

Au début la descente se passe bien

 

 

       Dimanche 29 juillet :  Christine & Christian Carcauzon- Jo & Philippe Liaud.

 

Au programme de notre séance de prospection dominicale figurent 3 sites du bassin de la Dronne. Jovelle (La Tour-Blanche) tout d'abord. La veille, au même endroit je présentais à nos amis Savignac les gravures paléolithiques de la grotte (le sol de la galerie profonde est bouleversé par les fouilleurs clandestins), les tailleries de meules monolithes, la grange médiévale et les cluzeaux… 

Aujourd'hui il s'agit de contrôler l'intérêt d'un minuscule orifice  ouvert en lisière du bois de Halas. Presque une heure de déambulation à travers les fourrés pour rien sous une succession d'ondées passagères. Je ne parviens pas à retrouver la cavité en question découverte au début du printemps en compagnie de mon fils Romain. Premières atteintes de la maladie d'Alzheimer diront certains ! Quoi qu'il en soit  nous nous sommes attardés devant une série de diaclases pour l'heure impénétrables. Certaines, après désobstruction, pourraient cependant donner accès à des conduits sous-jacents. À revoir dès les premiers frimas car, ouvertes en sommet de coteau, elles sont susceptibles de fumer !  

            Face au désagrément d'averses persistantes, c'est sous l'auvent d'un porche troglodytique que nous prenons un frugal repas. Philippe nous offre une tournée d'un Bergerac dont il a le secret de l'approvisionnement et qui titre … 14° ! Pour 4 consommateurs la bouteille n'est pas de trop.

            Fugace étape à la « Cache des Rilloux »  sur les hauteurs de Saint Vivien : jadis à l'écart des habitations du village stricto sensu, la caverne est dorénavant englobée dans un espace pavillonnaire architecturalement indigent. À proximité de son orifice on construit une nouvelle maison en parpaings de béton. Philippe pensant que la cavité m'était inconnue a tenu à confronter son renseignement avec ma connaissance du terroir. Pas de doute, il s'agit bien de cette large galerie en joint transformée en commode dépotoir par la population locale que décrivait avant-guerre le curé-doyen de Montagrier Gabriel Chaumette, véritable initiateur de l'archéologie « subterranéologique », comme disent quelques pédants contemporains,

            Direction Valeuil maintenant. Je souhaite entreprendre l'élargissement d'un trou qui fume (rait) selon Serge Avrilleau qui me l'a indiqué. L'orifice baille à fleur de terre dans les sous-bois qui s'étendent, en rive droite de la Dronne, non loin du château de Ramefort si agréablement restauré il y a quelques années. C'est au terme d'une longue recherche que je l'avais retrouvé plusieurs semaines auparavant. Sans éclairage alors, la conformation de ce conduit pentu m'était restée inconnue. Le faisceau de ma torche, tout juste rechargée, ne dévoile rien d'excitant : à 2 mètres de profondeur un boyau surbaissé offre la seule possibilité de prolongement. Devant l'ampleur du travail, Philippe et moi jugeons plus judicieux d'en reporter la date jusqu'à confirmation de son statut de Trou qui fume !

            Pour l'agrément de la visite nous effectuons ensuite un court passage en rive gauche afin de revoir quelques cavités proches du moulin d'Amenot. Le spectaculaire  abri sous roche surplombant la source captée du vallon fait toujours rêver… Les centaines de m3 de son remplissage livreront un jour aux préhistoriens comme aux archéologues spécialisés dans l'étude des cultures plus récentes le formidable livre d'heure que nos ancêtres y ont écrit depuis des dizaines de milliers d'années. Des sondages anciens y ont été pratiqués (Pittard ?) et dans les déblais meubles nous y avons observé, par le passé des tessons à cordons digités provenant de jarres modelées à l'âge du bronze.  Les niveaux paléolithiques n'ont vraisemblablement pas été atteints lors du creusement d'une tranchée exploratoire trop peu profonde. À l'aplomb  de la paroi rocheuse qui se prolonge, impénétrable, sous le comblement clastique nous découvrons un minuscule tesson d'une céramique tournée pourvue d'un décor à la molette qui paraît gallo-romain. Sont-ce des agriculteurs de cette époque ou des occupants médiévaux qui ont creusé dans le roc, sur plusieurs mètres de long, cet ensemble de petits boulins à la destination conjecturale ?

            Pour le spéléologue la messe est dite : il n'y a ici aucune possibilité, sans bouleverser les couches archéologiques, de se faufiler sous le plafond de l'abri qui laisse deviner, à 2 mètres sous le niveau du sol et entre blocs et pierrailles envahissants, un laminoir haut de quelques centimètres. Râlant si l'on imagine l'existence de bas reliefs proches, de bovinés comme au Fourneau du Diable (Bourdeilles), de mammouths comme à Saint-Front-de-Domme ou d'équidés comme au Cap Blanc !

            L'heure tourne et la petite aiguille nous arrache à nos songes « creux ». Nous refranchissons la rivière par la passerelle du moulin de Grenier. À l'occasion de la traversée nous remarquons, en amont, toute une flottille de canoës stationnant à la hauteur de la grotte et du Cluzeau baignés par les flots. C'est en 1968 qu'en compagnie de Gilles Delluc j'ai visité l'une et l'autre pour la première fois. Vers l'aval, avant d'atteindre l'embranchement conduisant à Saint Julien de Bourdeilles, la route longe un coteau qui recèle trois cavernes et un site troglodytique majeur : Le Cluzeau de Chambre-Brune. Il y a maintenant 3 ou 4 ans une partie de sa paroi orientale s'est détachée créant une béance dans la salle des silos. J'ai découvert, carrément dans le fossé, après une longue désobstruction, la caverne la plus proche du moulin.

          

 C'était à la toute fin de la décennie 80 ou peut-être alors au début des années 90 ; pénétrable sur à peine 40 mètres elle s'achève sur une trémie sableuse colmatant totalement le méandre. En hiver ou au printemps il arrive que la base du conduit soit ennoyée par les eaux souterraines. Actuellement son orifice d'entrée est rebouché. Nous avons l'intention de reprendre son exploration. Sous le massif qu'elle draine existe tout un réseau dont les exutoires pérennes sont visibles en contrebas de la chaussée.

            Remontant la combe qui se prolonge jusqu'aux abords du village de Saint Julien, j'indique à Philippe la localisation de la grotte de Cérijol. Avec un autre Philippe, Boismoreau celui là, je l'ai parcourue dès 1967, sur les traces encore fraîches de ses premiers explorateurs adhérents d'un Spéléo-Club de Périgueux, qu'ensemble nous n'allions pas tarder à rejoindre. Avec ses presque 7 hectomètres de développement « Cérijol » est la cavité la plus importante du secteur… mais pas forcément la plus vaste.

            Passé le petit bourg rural assoupi sur l'interfluve nous plongeons vers la vallée du Boulou. Je souhaite intéresser Philippe Liaud à quelques investigations concernant le site du Trou des Martres. Perdu quelque part, entre le Moulin de La Faye et le hameau de Barneuil, au beau milieu des bois étendus qui recouvrent le flanc Est du talweg, le Trou des Martres était connu de l'abbé Gabriel Chaumette puisqu'on en retrouve  une mention dans des carnets demeurés inédits, mais sans doute ne s'y était-il pas aventuré comme le donne à penser l'absence de tout compte-rendu.

            C'est en 1982, qu'en compagnie de mon frère Serge, depuis trop longtemps rangé des voitures, que je l'ai exploré. J'ai publié en 1991, un petit récit de cette incursion qu'il n'avait pas été facile d'organiser tant nos informateurs traînaient les pieds.

« Me faire accompagner sur place par un des habitants (de Saint Julien) qui m'avait, un peu à la légère, proposé son aide n'a pas été chose facile. Ce n'est qu'au bout de la troisième ambassade et encore parce que Serge et moi l'enlevons pratiquement de force, que ce dernier nous accorde, bien à contrecœur, satisfaction ! Arrivés devant les deux orifices du « trou » je comprends mieux les réticences du bonhomme. L'excavation a été convertie en un effroyable charnier qui exhale une odeur pestilentielle. Ironie de l'étymologie ; « Martres » n'a rien à voir avec le petit carnassier de nos forêts mais dérive du latin « Martyres » et évoque, pour l'archéologue, le cimetière, la nécropole ! On est bien dans le ton ! » (1)

Pendant quelque temps la pratique du « tout à l'abîme » avait été abandonnée. Depuis peu elle retrouve une nouvelle vigueur. À l'ouest de Paussac, le gouffre de Lignères à Saint-Just, péniblement désobstrué jusqu'à –10 m.  est de nouveau rempli à ras la gueule d'ordures et de ferrailles diverses. Près de la Gonterie, le petit aven des Sudries continue, bon an mal an d'accueillir son lot d'animaux crevés… D'un seul coup d'œil jeté sur le cône d'éboulis qui, à la base du puis d'accès, s'épanche dans l'intérieur d'une vaste salle sous-jacente, nous constatons la présence de récents cadavres emmaillotés dans les habituels sacs d'engrais, saches étanches qui prolongeront interminablement la décomposition des corps.  Pour éviter un atterrissage sur un pareil sol nous décidons d'emprunter la deuxième entrée ; un conduit artificiel creusé au bas d'une diaclase anthropiquement aménagée. Le passage fortement déclive aboutit à la base d'une galerie qui se prolonge vers le nord-ouest en contournant le charnier et il débouche, a mi-hauteur du cône d'éboulis  qui conserve les traces d'un très ancien muret de pierres sèches. Je l'ai emprunté à plusieurs reprises et malgré son exiguïté extrême il est de loin préférable au puits voisin beaucoup plus vaste.

                                Photographie Romain Carcauzon

Au début la descente se passe bien ; le conduit est étroit mais si je ne suis plus aussi svelte qu'à 30 ans je ne m'inquiète pas pour autant des difficultés de la progression ; les pieds en avant, je l'élargis en surcreusant le sol des talons et en repoussant devant moi les feuilles, branches ou pierres qui s'y sont accumulées depuis ma dernière visite. Voilà, cependant, que je me fais labourer maintenant les fesses et les reins puis les épaules par des objets aigus  et que mes mains à tâtons se posent sur des obstacles faciles à reconnaître. Ma reptation dorsale s'effectue sur une charogne en phase terminale mais charnue encore, introduite   à l'aide d'une perche, dans cet étroit  couloir surbaissé   ou remontée vers l'extérieur par un renard !

Pas question, dans ces conditions, de poursuivre cette visite ; Je ne tiens pas à m'exposer à une quelconque infection comme celle qui au début des années 80 avait mis en péril la santé de mon frère retour d'une descente commune dans l'immonde « Trou des Séguinies », un autre gouffre charnier qui baille à proximité du dolmen de Peyre Levade entre Paussac et Saint-Vivien.

 

J'intime à Cannelle, ma chienne qui me suit à la trace un retour immédiat en surface. Attiré vers le bas je peine à reconquérir, à reculons, les mètres si péniblement gagnés dans l'autre sens et, vers la sortie, l'aide de Philippe, qui me tracte littéralement à l'aide d'un manche de binette, est la bienvenue.

Au nord du gouffre, au milieu de buis buissonnants, s'ouvre l'entrée d'un souterrain dont la la galerie unique coudée a fait jadis l'objet d'un comblement volontaire presque total qui en réduit à peu de chose la hauteur. En 2004, 2005, crois-je me rappeler, Romain et moi avions mis au jour, à proximité immédiate, un porche surbaissé rendu quasiment invisible par le déversement de pierrailles. Il semble s'ouvrir à la base du cratère de deux fosses coalescentes dans le remplissage desquelles nous avions exhumé quelques tessons médiévaux.  L'Histoire, ici, est partout… à peine se dissimule-t-elle sous la mousse !

Demain ou après-demain nous reprendrons nos recherches ébauchées.

Philippe qui, c'est le moins qu'on puisse dire, a du « métier » dans le bâtiment, est l'œil critique qui convient pour analyser le hameau ruiné de Hautefaye dont j'ai récemment découvert l'existence.

 À vol d'oiseau, un kilomètre environ le sépare du Trou des Martres. Ne le cherchez surtout pas sur l'IGN au 1/25 000ème : il n'y a jamais figuré ! 

Au XVIIIème siècle la carte de Cassini le répertoriait encore. Actuellement, une fois franchies les broussailles qui le dissimulent au regard c'est un regroupement de constructions ruinées, maisons d'habitation, granges et étables, qui s'impose à l'intrus s'insinuant précautionneusement entre leurs maçonneries vacillantes ou déjà à terre  depuis des lunes.

300 ans plus tôt Hautefaye vivait certainement son âge d'or. À l'époque, point d'arbres omniprésents sur ce coteau dominant la Belaygue et le Boulou mais d'innombrables parcelles tout en longueur, soigneusement cultivées, s'élevant de terrasses en terrasses, à la faveur de murailles minutieusement appareillées, jusqu'à ces quelques foyers d'une communauté paysanne. Pour y parvenir, depuis Barneuil, Saint-Julien, La Tabaterie ou le moulin de la Faye, voire la Suchonnie il ne manquait pas de chemins larges ou étroits, enserrés par des murettes ou de véritables fortifications, sillonnant l'espace sur des dizaines de kilomètres.  Les troupeaux regagnant la crèche n'avaient pas à redouter, en ce temps là, de rencontres inopinées avec de rageurs véhicules à moteur.

Sous le lierre Philippe dégage l'embrasure d'une fenêtre à imposte délicatement ouvragée. Un chanfrein  plein de grâce est apparu sous la végétation et maintenant je l'aide à découvrir un appui saillant mouluré. Cela évoque le XVème siècle, ou, à l'extrême rigueur,le début du XVIème.

Il serait regrettable de quitter les lieux sans lui montrer la citerne rupestre. Creusée en plein rocher elle a dû, à l'origine, être entourée d'un parapet épousant ses contours ovales comme le suggère l'amoncellement des pierres qui l'entourent. Peut-être même était-elle couverte.  En cette fin juillet l'eau du printemps y a depuis longtemps disparu mais l'humidité résiduelle permet l'épanouissement de plantureuses scolopendres.

            Plusieurs mètres cubes de déblais en masquent la base.  Sa profondeur demeure inconnue.  J'aimerais lui faire retrouver son aspect initial en la désobstruant. Sans nul doute, au cours d'une telle opération, mettrions-nous au jour des témoignages matériels de l'occupation du site…

La proposition incitatrice fera-t-elle son chemin ?

À travers bois nous rejoignons la vallée : il commence à se faire tard et Christine et Jo qui ont opté pour une balade plus reposante doivent s'impatienter. Dépassé le moulin de la Faye nous aboutissons sur le chemin qui longe la Belaygue remontant d'un coté vers les Bernard, de l'autre vers le carrefour des Quatre fontaines. Nous croisons quelques promeneurs attardés… Un peu de soleil et un coin de ciel bleu, leur ont redonné, en cette fin d'après-midi, le sourire.  Cannelle s'attarde sur le bord du ruisseau, y plonge les pattes puis le museau. Elle a soif et doit, comme le proclamait souvent, autrefois,un de nos amis, moins perméable aujourd'hui à la poésie ordinaire, « célébrer la délicieuse prodigalité de la nature » qui subvient à tous les besoins !

La semaine prochaine nous verra dans d'autres lieux : il y a, en particulier, dans la vallée de la Belle une grotte qui nous attend. Bien sûr, comme toujours, elle sera au choix, le nouveau Lascaux si ce n'est le nouveau Padirac !

Ch.C le 30/7/2007

(1) On peut lire la suite de cette relation dans notre ouvrage, « Découvertes souterraines en Périgord » Éditions du Roc de Bourzac Bayac 1991. Officiellement imprimé à 150 exemplaires (à titre de droits d'auteur nous n'en avons perçu que 15 ) ce livre continue de se vendre 16 ans après le tirage initial. Depuis cette époque des centaines, voire des milliers d'exemplaires sans doute ont été distribués. Aujourd'hui « Découvertes souterraines » est toujours disponibles dans bon nombre de librairies régulièrement approvisionnées, sur le site Internet E-Bay comme auprès de l'éditeur peu scrupuleux

 

                                                                                               

           

 

 

 



31/07/2007
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