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Le havre des chauves-souris en péril

Le havre des chauves-souris en péril !

 

     Quelque part, au cœur du bassin de la Dronne… à l'extrémité d'un causse dont les pelouses calcaires sont progressivement conquises par la végétation arbustive, baille, à fleur de sol, l'orifice d'un gouffre qui a pour plus sûre ennemie sa notoriété.

     Un puits d'accès d'une descente trop aisée, permet de prendre pied, à tout juste 4 mètres de la surface, sur le sommet d'un imposant cône d'éboulis qui s'épanche à l'intérieur d'une des plus vastes salles souterraines du département.

      Son diamètre, d'environ 60 mètres, sa profondeur voisine de 44 mètres et la  taille souvent colossale des blocs, détachés d'un plafond élevé, confèrent au paysage un caractère dantesque. Et, lorsque, peu à peu, les yeux se sont accoutumés à la pénombre que dissipe mal la chiche lumière solaire s'accrochant aux encorbellements de la voûte et à l'entassement cyclopéen des strates affaissées, la cavité révèle sa surprenante, âpre et farouche beauté.

      Durant le haut moyen-âge, un petit groupe humain fréquenta l'hypogée ; de son importance numérique on ne sait quasiment rien et la durée et les motivations de ses séjours sous terre demeurent inconnues. Il y a quelques années des foyers établis sur des replats rocheux ont livré, à des archéologues clandestins, mêlé aux cendres, charbons de bois et aux ossements d'animaux consommés sur place un mobilier céramique et métallique diversifié. Certains, mis dans la confidence de ces « fouilles » regrettables, évoquent la mise au jour d'un scramasax, court glaive en usage chez les mérovingiens dont, alentour, de nombreux cimetières attestent la présence.

 

 

     Sans doute, dès cette époque, ces populations rurales locales tirèrent-elles partie d'une ressource disponible en quantité dans les profondeurs du gouffre : le guano de chauves-souris, fumure organique rare et appréciée. C'est qu'hier, plus qu'aujourd'hui malheureusement, l'aven était un havre inexpugnable pour un phénoménal regroupement de chiroptères, protégés par leur mauvaise réputation et la crainte qu'ils inspiraient, l'inaccessibilité de leur dortoir, la faible fréquentation du lieu…et certainement aussi par le commensalisme intéressé des paysans qui exploitaient « leurs déjections en agriculture » ainsi que le notait, en 1943 dans une brève chronique, le premier descripteur du site.

     Comme cela arrive fréquemment, la colonie se compose actuellement de nombreuses espèces différentes ; au moins 7 «  d'intérêt communautaire » affirment les spécialistes, dont les effectifs cumulés atteignent, voire dépassent certainement les 7000 individus. Barbastelles, Minioptères de Schreibers, Grands Murins, Murins à oreilles échancrées, Grands et petits Rhinolophes et Rhinolophes Euryales, … constituent le gros des troupes affectionnant la cavité aussi bien en période de reproduction qu'en époque d'hibernation. Le gouffre, précisent les mammalogistes «est l'un des 7 sites d'importance internationale de Dordogne » c'est dire tout l'intérêt que revêt sa protection. D'un point de vue environnemental la relégation des activités agricoles néfastes aux très lointaines marches de la zone classée Natura 2000, au milieu de laquelle s'ouvre la cavité karstique, autorise le maintien et le développement de la colonie ; strictement insectivores, les chiroptères, dont le territoire de chasse s'étend selon les espèces de 1 à 10 kilomètres autour de leur habitat, trouvent dans la région des ressources alimentaires largement suffisantes. Sans doute l'absence d'épandage d'insecticides épargnant les combes périphériques, irriguées par des ruisseaux pérennes, et les plateaux caussenards qui les encadrent, est-il pour beaucoup dans cette situation favorable.

      Cependant tout n'est pas idyllique loin de là : les O.P.A. concernant les espaces naturels menées par les fédérations sportives d'escalade et de spéléologie soucieuses surtout de prosélytisme et de recrutement massif, conditions sine qua non de leur reconnaissance par les instances ministérielles, réduisent d'années en années le Périgord en stade… Les dérives consuméristes engendrées par la pratique de ces activités de terrain ; l'engouement plus récent mais tout aussi pernicieux pour le tourisme « naturaliste » se traduisent, ici et là, par des atteintes préjudiciables au milieu. Le havre des chauves-souris n'y échappe pas lui qui offre, 2 fois par jour, du printemps à l'automne, à la tombée de la nuit et aux premières lueurs de l'aube, le spectacle inouï de l'envol et du retour au bercail de milliers de mammifères ailés s'extrayant en grappes innombrables de l'aven ou y retournant repus et recrus de fatigue.

     En 1965 la recherche de l'orifice du gouffre imposait, à de rares visiteurs, de longues prospections à travers taillis et boqueteaux. Aujourd'hui, une voie d'accès aux allures d'autoroute pédestre balisée par la teinte ocre de l'argile, mène sans coup férir, à la caverne. Le sol damé par le piétinement d'incessantes allées et venues atteste la sur-fréquentation du site. Sur la lèvre du gouffre la trace d'un foyer récent, allumé, sans crainte d'un incendie possible, à l'aplomb de chênes et à proximité de genévriers, témoigne avec éloquence de la stupidité de ses auteurs et du peu de considération nourrie pour les animaux qu'ils venaient admirer ! D'autres, auparavant, en avaient fait de même…à l'intérieur de la cavité. Dès l'entrée les tristes vestiges de leurs randonnées s'accumulent…Chaussures abandonnées, paquets vides de cigarettes, piles, canettes de bière ou de soda… On imagine le stress occasionné aux chauves-souris par ces hordes touristiques tonitruantes tentant de repérer à l'aide de phares puissants leur groupe compact accroché au plus haut de la voûte.

     La situation, qui empire, inquiète les amoureux de la nature ; il faudra bien se résoudre un jour prochain à clôturer la parcelle entourant l'entrée du gouffre…ou à prendre acte  de  la complaisante démission de ceux qui ont en charge la préservation du patrimoine .!

     Mais il est vrai qu'en matière de développement touristico-économique on ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs !

 

 

Ch.C.

 



30/08/2005
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