Cro-Magnon astronome
Sur pratiquement une pleine page, notre confrère Alain Bernard qui assume, entre autres tâches, les fonctions de chroniqueur archéologique dans les colonnes du quotidien Sud-Ouest, annonçe, samedi 3 novembre, la diffusion, le soir même, par la chaîne ARTE du court métrage titré « Lascaux, le ciel des premiers hommes ».
Dans son papier le célèbre journaliste au canotier ne travaille pas forcément du chapeau en définissant « Cro-Magnon astronome » et en affirmant que le film en question « éclaire sur la vraie révolution qu'a constituée l'observation céleste chez nos ancêtres » du paléolithique supérieur. Il sert plutôt la soupe à une certaine Chantal Jègues, chercheuse indépendante, Docteur ès Lettres et Sciences Humaines, Anthropologue, Ethnoastronome, Psychologue… (rien que ça !) à qui les étoiles en font voir trente-six chandelles, depuis qu'elle s'est mis en tête de décoder l'art pariétal des chasseurs-cueilleurs à la lumière solsticiale des rayons du soleil pénétrant dans les cavernes ornées du Périgord.
Pour asseoir sa thèse (1), développée dans le film, Chantal n'a pas hésité à passer des heures en compagnie de « préhistoriens de haut vol Jean Clottes et Jean-Michel Geneste » notamment, afin de surprendre la course des rais de l'astre solaire venus se casser le nez sur la porte blindée de la caverne Montignacoise ou éclairer avec plus ou moins de parcimonie l'embouchure de cavités auxquelles la géologie impose majoritairement une orientation générale Sud-Est- nord-ouest.
De ce constat répété sous le porche de 135 grottes ornées et complètement azimutées pour ces rendez-vous bisannuels, la chercheuse niçoise fait toute une salade. Elle prétend que les figurations animalières peintes et (ou) gravées dans ces grottes où la lumière disparaît au détour du premier coude de la galerie, ne sont rien d'autre que la représentation symbolique des constellations comparables à nos grande et petite Ourse Girafe, Bélier, petit et grand Chien, Poisson, Baleine ou Lion… Toute sa démonstration absconse aboutit à cette conclusion : l'art de nos ancêtres de la pierre ancienne reflétait leur « appréhension participationniste du monde » (sic).
C'est l'évidence même !
Littéralement subjugué par le discours de la pythonisse notre confrère en perd cependant quelque peu les pédales. Il évoque ici un « ciel néolithique de l'Age du Bronze » énonce doctement, un peu plus loin, de solides truismes « Nos ancêtres paléos vivaient un autre rapport à la nature et à l'univers que nous » et s'émerveille de la « configuration de la voûte étoilée, source de vie » !!!
On espérait bien plus divertissant encore lorsque, vers 20 h 45, le ciel des premiers hommes ce document de 55 minutes tourné en partenariat avec le Conseil général de la Dordogne est venu obscurcir notre petit écran !
Il n'y a pas eu, à cet égard, de déception. Les élucubrations récurrentes de Chantal Jègues évoquent irrésistiblement, mais sans le talent et le génie des deux compères, les théories pseudo scientifiques qui constituèrent un temps le fonds de commerce de Louis Pauwels et Jacques Bergier auteurs de l' inoubliable « Matin des Magiciens » et fondateurs de la non moins célèbre revue Planète.
Les morceaux de bravoure du film sont constitués par de courtes séquences au cours desquelles, au prix de savantes contorsions géométriques, d'honnêtes bovinés dont quelques détails anatomiques judicieusement sélectionnés (ici un œil, là une corne ou un sabot voire une ponctuation…) puis reliés entre-eux , se transforment , sous l'œil ébahi du spectateur, en une constellation qui fut censément observable par les chasseurs solutréens ou magdaléniens dans des cieux immémoriaux. (2)
On ne croit pas le Conseil général stupide au point d'accorder le moindre crédit aux thèses besogneuses de Chantal Jègues. Si l'exécutif départemental a financé le tournage de l'affligeant documentaire proposé par ARTE c'est essentiellement à des fins promotionnelles. On a effectivement pu voir de belles images aseptisées et rigoureusement formatées de la vallée de la Vézère donnant à penser que le « Pays de l'homme » n'est pas le triste Préhistoland qu'il est malheureusement devenu !
Pourtant la publicité est mensongère et en l'occurrence elle manque véritablement de souffle : pour cause de taches noires proliférantes le tournage n'a pu se dérouler dans un Lascaux en état de coma dépassé et seuls quelques plans ont été filmés dans son décolcomanique duplicata. Résultat : la restitution par l'image de scènes d'anthologie où d'hirsutes hommes préhistoriques peignent fébrilement, à grands coups de queues de vaches, des chevaux ou des bisons que n'auraient reniés ni Goya, ni Chagall !
Dans le fatras des hypothèses émises qui devraient se faire oublier plus rapidement que la lumière ne met de temps parcourir des distances sidérales les réalisateurs du document ont, en guise de plans de coupe, conservé, entre autres, au montage, les savoureux tête à tête de la paleo-astronome avec Jean-Michel Geneste le conservateur de Lascaux qui manifeste un goût suranné pour les bijoux fantaisie. Ils n'ont pas rechigné, en outre, à rapporter les indigents échanges Jègues-Clottes l'une défendant ses trouvailles cosmogoniques l'autre les contestant mollement pour qu'elles ne nuisent pas à son décryptage chamaniste de l'art des ténèbres. À farfelu, farfelu et demi !
Ch.C Le 3/11/2007
(1) révolutionnaire selon Alain Bernard qui passe sous silence les travaux farfelus de l'Américain Alexander Marshack inventeur d'innombrables calendriers lunaires semblables à celui, si explicite et évident !!!, provenant de l'Abri Blanchard à Sergeac – photo ci-dessous.
(2) on se dit qu'à Miremont (Rouffignac paraît-il !) les artistes magdaléniens vouaient, à près d'un kilomètre de l'entrée de la grotte, un singulier attachement à la constellation … du Mammouth, celle la même que célébraient, 7 à 8000 ans auparavant, sur les parois d'un porche éclairé par la lumière du jour leurs homologues de Jovelle!
Comme entre les représentations de proboscidiens de Miremont et celles de Jovelle les différences sont plus que criantes on est bien obligé de constater qu'au fil des millénaires la constellation du mammouth n'est pas restée durant tout ce temps les deux pieds dans le même sabot ! CQFD !
Quelques réactions
Je suis bien d'accord avec toi concernant cette Chantal, son "travail" participe des constructions habituelles et éculées sur les préoccupations astronomiques/astrologiques de nos lointains ancêtres, très en vogues dans les années 60/70. Didier Raymond
Un type qui ne connaît rien en astronomie a de très grandes difficultés à voir la constellation que tu lui décris. En général, il voit autre chose; il intègre dans la figure qu'il identifie des étoiles qui n'en font pas partie. Parce que toutes ces constellations ne sont que des vues de l'esprit, parfois des distances incommensurables séparent deux étoiles de la même constellation: ce sont les Chaldéens puis les Arabes qui leur ont donné voisinage. Elucubrations. Francis Fargeaudou
…de là à monter les entrées des grottes sur un axe pivotant pour les orienter en fonction des solstices et des équinoxes, il y a un pas que les paléo-astronomes spécialistes de « l'organisation spacio-temporelle » n'auraient pas dû franchir ! Serge Avrilleau
Lu sur http://orangebleue.blogspace.fr/ le blog du libraire sarladais Frédéric Inizan cet avis qui se voudrait pertinent concernant l'inénarrable docu-fiction baptisé « Lascaux, le ciel des premiers hommes » diffusé sur ARTE
« Bon, j'ai pas la télé mais ce doc sur Lascaux, carte du ciel, a l'air pas mal. »
La semaine dernière c'était un certain Jess qui faisait bénéficier les lecteurs du même blog de cette information capitale relative à un papier sur Lascaux, déjà, publié dans la presse magazine des bobos. « J'ai acheté Marianne ce matin mais je n'ai pas encore lu l'article sur Lascaux »
Bon, Argentine24 ne se pèle pas quotidiennement l'Orange bleue mais ça ne l'empêche pas d'apprécier , à chaque visite, le sérieux de son contenu.
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