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Fernand Desmoulin artiste médiumnique ?

 

BRANTOME / TROIS ARTISTES DANS UN MUSEE

 

Il y eut trois Desmoulin, l'illustrateur académique talentueux et prolifique, le peintre post-impressionniste à la palette chatoyante mais aussi l'habile et fascinant dessinateur symboliste qui en à peine 2 ans produisit plus d'une centaine de saisissants portraits médiumniques. C'est surtout, mais pas exclusivement, à la découverte de ces derniers que convie le musée Desmoulin.

 

 

     Inauguré il y a trois ans,  ce musée, aménagé dans deux salles contiguës du rez-de- chaussée de l'abbaye, a été conçu et réalisé par l'association « les amis de Brantôme » avec le concours de la Municipalité et du Conseil général de la Dordogne grâce au legs de Madame André Le Gorrec. L'opération, d'un coût d'environ 10.000 euros, a permis d'offrir aux dessins, toiles et eaux-fortes de l'artiste un cadre superbe qui ne fait en rien regretter la pièce, exiguë  et poussiéreuse, où certains d'entre eux étaient entreposés depuis le début des années 50. C'est à cette époque que l'épouse du peintre avait fait don à Brantôme de la collection unique de dessins spirites qui constitue l'ossature de l'actuel musée.

 

 

      Aujourd'hui le fonds s'est considérablement enrichi avec l'acquisition d'une centaine de pièces supplémentaires retrouvées en 2000 à l'occasion d'une remise en ordre des réserves de l'Institut métapsychique International. Ce sont essentiellement des dessins dont beaucoup peuvent être rapprochés de ceux de l'abbaye, visages évanescents et masques mortuaires émouvants traités avec la plus grande maîtrise. D'autres œuvres évoquent l'art nouveau avec leurs réseaux de formes alvéolaires élégantes enserrant des têtes sobrement ébauchées. Un troisième ensemble apparaît en totale rupture avec les deux précédents ; le trait, parfois brutal, souvent imprévisible, engendre des figures mystérieuses presque abstraites où la technique des beaux-arts et la norme des salons de peinture s'effacent comme pour mieux accréditer la thèse d'un art brut, d'une écriture artistique automatique, inspirés par les forces invisibles de l'au-delà.

Dans les années à venir ces documents seront offerts à la curiosité du public et soumis à sa sagacité !

     Actuellement, plus de quatre-vingt  œuvres, provenant du legs initial,  sont accrochées aux murs séculaires de l'abbaye. Les dessins, 55  mines de plomb, fusains, sanguines et compositions aux crayons de couleur, sont regroupés dans la première salle. Selon les affirmations de Fernand Desmoulin, abondamment relayées par la presse du début du XXème siècle, ils ont été exécutés, entre 1900 et 1902,  sous l'influence d'un « esprit » qui lui aurait enjoint de les signer successivement de trois noms différents : « l'instituteur », « ton vieux maître » et enfin « Astarté ».L'influence des courants symbolistes y est particulièrement sensible ; tout comme Lucien Levy-Dhurmer et Juan Brull Vinoles qui fréquentèrent également l'atelier de Raphaël Collin. Fernand Desmoulin semble avoir fait sienne la profession de foi d'Odilon Redon : «C'est la nature aussi qui nous prescrit d'obéir aux dons qu'elle nous a donnés. Les miens m'ont induit au rêve ; j'ai subi les tourments de l'imagination et les surprises qu'elle me donnait sous le crayon ; mais je les ai conduites et menées, ces surprises, selon des lois d'organisme d'art que je sais, que je sens, à seule fin d'obtenir chez le spectateur, par un attrait subit, toute l'évocation, tout l'attirant de l'incertain, sur les confins de la pensée. » (1)

 

 

Par delà le fatras des simplifications populistes, irrationnelles et publicitaires sous lequel reste encore, pour un certain temps, enfouie l'œuvre du peintre d'origine Périgourdine, force est de constater qu'elle occupe un rang tout à fait honorable parmi l'abondante production des créateurs rattachés à ce mouvement pictural qui engendra aussi l'art nouveau et donna naissance au groupe des Nabis et au fauvisme…

       Rien pourtant, si ce n'est la lassitude de son statut d' « artiste officiel de la IIIème république » ne prédisposait Fernand Desmoulin  à une telle incartade ; élève des académistes Bouguereau, Merson, Bracquemont… son talent indéniable d'illustrateur, tout comme ses relations, l'avaient hissé au rang sûrement enviable financièrement de portraitiste de la gentry et des happy-few du temps.

     La seconde salle du musée présente une suite de 13 gravures et 3 dessins préparatoires emblématiques de sa production durant les deux dernières décennies du XIXème siècle.

Des portais de Théodore de Banville, d'Ernest Renan, de Meissonnier …et autres célébrités religieuses, politiques ou militaires – Mgr Guibert, Alexandre III, Canrobert-  passées à la postérité dans la posture du paon ! Comme elles se mettaient en scène devant l'objectif photographique de Félix Tournachon dit Nadar, concurrent et inspirateur d'un

Desmoulin ayant vécu l'enfance de l'art aux pays des barbons. Cette partie

 -quantitativement considérable- de son œuvre a terriblement vieilli!

      Après sa fugue symboliste il poursuivra en dilettante une carrière de peintre post impressionniste brossant en Théchoslovaquie, Hollande, Italie  ou sur la Riviera, d'agréables et chaleureuses toiles. Le musée en accueille 11 et dans le bureau de M. Guy Duvivier, maire de Brantôme, on peut en admirer d'autres parmi lesquelles une vaporeuse « femme voilée » d'une agréable facture et un portrait d'Elise Van Oosterom son épouse.

Il s'agit là du travail d'un peintre du dimanche particulièrement doué animé d'une seule ambition : capter formes, lumière et couleurs de simples silhouette, visages ou paysages  pleins de grâce et de beauté retenues et qui, 89 ans après la disparition de leur auteur, nous charment toujours.

La plupart de ces toiles, provenant du legs de Mme Desmoulin, étaient considérées comme perdues  depuis plusieurs décennies. Anne- Marie Pons et Babeth Caillaud-Bourgoin, animatrices du Syndicat d'initiatives, du parcours troglodytique et du musée, les ont retrouvées dans une pièce proche du dortoir des moines, en 1998, masquées par des objets entreposés dans le plus grand désordre. Recouvertes d'une épaisse couche de poussière et ayant souffert d'un trop long abandon, elles n'ont retrouvé leur fraîcheur initiale qu'à l'issue d'une indispensable restauration.

 

 

 

     La superficie du musée – à peine 130 m2- n'est sans doute pas assez vaste pour autoriser la présentation de l'ensemble de la collection réunie ; des rotations périodiques permettront l'exposition des pièces contenues dans les réserves.  La conception, l'aménagement et l'éclairage du lieu valorisent celles  qui depuis l'inauguration attirent les visiteurs dont le nombre a atteint, à la faveur d'un  jumelage avec le site troglodytique,  13000  en 2002 et 2003. Cependant, et même s'il s'agit là d'une des explications du succès populaire rencontré, on peut s'étonner qu'il ait paru utile à certains de doter l'établissement d'un théâtre sonorisé-mais privé, suite à des défaillances techniques, des projections holographiques annoncées- où, dans l'huis clos d'un cabinet particulier petit- bourgeois, un automate grandeur nature singe la pratique ésotérique putative de Fernand Desmoulin aux prises avec un démon lui imposant d'abracadabrantesques exercices picturaux !

 

Christian-Alain Carcauzon

 

Le musée Fernand Desmoulin est ouvert en juillet et août toute la journée et toute l'année, sauf en janvier, en après-midi  ( le matin sur R.V.) Le billet – 6 euros – permet également la visite du site troglodytique de l'abbaye aux magnifiques et monumentaux bas-reliefs rupestres. Renseignements : 05 53 05 80 63

 

 

(1) Odilon Redon A soi même journal 1867-1915 Paris 1922

 

 

 

 



16/09/2005
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