Jamais le causse n'a été aussi beau
Jamais le causse n'a été aussi beau qu'en cette matinée de fin décembre! Pendant la nuit les nuages se sont dissipés ; à peine avaient-ils, la veille, répandu sur le sol une ondée aussi discrète que fugace. À 9 heures le ciel, déjà bleu au-dessus des têtes, reste nimbé, à l'horizon, d'un épais voile de brume. Dans l'axe du chemin qui épouse le faîte du plateau, le soleil, encore bas, éclaire à contre-jour un paysage presque irréel. Esquissées par un pinceau aérien trempé dans l'encre de chine, les hautes ramures des bouquets d'arbres annonçant, au loin, les bois de Sainte-Croix se fondent dans l'embrasement ouaté du brouillard !
Vers le sud, juste en contrebas du chemin, des rais frisants illuminent une lisière de grands pins. Leur vert soutenu tranche sur le lavis aux nuances subtiles de gris bleuté des coteaux, toujours plongés dans l'ombre, qui s'élèvent au-delà du vallon de Boudoire à Fitout. Plus au sud ouest, la colline de Villebois semble gommée.
Comme il n'y a pas encore de circulation sur la route de Verteillac que la pente dissimule au regard, on pourrait se croire immergé dans un de ces premiers matins du monde peuplés, il y plus de 10 millénaires, de rennes et de bisons !
Au sommet d'un grand résineux, une pie jacasse à pleine voix ; ses vocalises âpres et râpeuses « tchak- tchak-tchak… » ne trouvent aucun écho. Lassée sans doute d'interpeller des congénères moins volubiles, elle prend tout à coup son envol, ailes blanches et noires largement déployées.
Quand les rugissements de tonitruantes mécaniques ne viennent plus le violenter le silence absolu de la campagne contemporaine paraît bien troublant ! Pas le moindre jappement de chien, aucun chant de coq ne vient lui rendre vie… les heures qui filent ne sont plus carillonnées et des étables désertées ne montent plus, depuis longtemps déjà, le meuglement de vaches ou le bêlement des brebis impatientes de gagner leur pâture.
En tendant l'oreille on devine cependant, si assourdi qu'il en est pratiquement inaudible, le brouhaha des palmipèdes d'un élevage industriel.
Mais soudain une voix de stentor referme cette parenthèse de fausse sérénité: c'est Michel Vallade qui surgissant d'un dédale de genévriers, rappelle fermement à lui son fox et sa vieille épagneule.
Michel n'a plus vingt ans, il s'en faut, et les décennies accumulées ont joué un mauvais tour à cet infatigable coureur des bois aujourd'hui perclus de rhumatismes. Mais ces petites misères qui en clouent d'autres sur leur fauteuil ne l'empêchent pas d'aller, cette année encore, à la chasse. Canne d'une main, fusil dans l'autre !
Ses chiens qui apprécient la balade au point de prendre des libertés avec leur mission cynégétique semblent avoir compris que le maître, désormais, n'a plus qu'un vrai souci : faire un carton sur son déclin physique.
Sa façon de le combattre avec une telle détermination devrait le conduire, à arpenter encore et encore le plateau, même si ses sorties s'effectuent la plupart du temps non loin de son domicile, sous le regard bienveillant du clocher d'Argentine.
Argentine le 23/12/2007
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 33 autres membres