argentine

Je hais les dimanches

Chronique d’un dimanche ordinaire en Périgord

 

Je hais les dimanches : La pluie, c’est certain, va tomber. D’ici quelques minutes. Elle n’attendra pas midi pour crever les lourds nuages sombres qui, au loin, semblent ramper sur le causse.  La température a fraîchi mais en ce mois de novembre peu disposé encore à se faire automnal elle reste étonnamment douce. Un chemin serpente sur l’échine du plateau : il permet, à droite comme à gauche, de contempler, au-delà des talwegs latéraux de cette vaste table calcaire, les perspectives fuyantes de coteaux jouant à saute-mouton pour mieux enjamber les vallons secs qui les séparent.

Le paysage, toujours plongé dans le silence d’une aube qui s’est, subrepticement défilée, baigne dans une lumière blafarde. Seuls les arbres résistent vaillamment à l’atonie chromatique de cette avant-veille d’hiver. Peu d’entre eux ont rendu les armes et dressent au ciel, en signe de reddition, leurs maigres bras levés ; la plupart des chênes ou des charmes, des alisiers ou des cornouillers, des noisetiers et des églantiers ont conservé leur feuillage. Vert parfois, mais le plus souvent jaune, ocre ou rouge et, déjà, brun pour certains.

Ces taches colorées, qu’on pourrait croire dérobées à une toile de Georges Seurat ou de Paul Signac, ne sont pas les seules à sourdre de la grisaille ; sur le versant méridional d’une combe on distingue nettement, à plus d’un kilomètre de distance, figée dans l’erratique attitude d’une incongrue statue antique, la silhouette d’un homoncule vêtu d’un justaucorps orange vif rappelant les gilets de sécurité des agents de la défunte D.D.E. C’est un chasseur, on devine son fusil …  qui occupe une cafourche avec mâle assurance. Il attend, solitaire, l’éventuel passage d’un chevreuil ou d’un sanglier rabattu par une troupe de chiens courants. À quelque distance, en bordure d’un hallier, un parking improvisé se devine. Il accueille 6 ou 7 véhicules, parmi lesquels plusieurs 4x4 rutilants. Ailleurs, sûrement, d’autres individus, qu’on n’entend pas, s’activent néanmoins. À une triste besogne.

Le temps est comme figé, à peine sent-on qu’il s’écoule tout de même,  comparable à une bruine poisseuse, redoutant, aux détours des mouvements de balancier de l’horloge universelle, le surgissement de précipitations torrentielles ou l’apparition inopinée d’un rayon de soleil qui le tireraient de sa léthargie!

Sans prévenir, soudainement, la campagne s’emplit de vociférations ; une meute qui hurle, des coups de fusil rageurs qui éclatent comme pour célébrer la fête nationale, des borborygmes de gueulards qui essayent de transmettre à d’autres cerveaux violacés, des messages incompréhensibles à toute personne élevée dans la répugnance de la mort donnée. Aigrelets, des sons de trompe , inlassablement, se répercutent sur les tertres boisés. C’est l’hallali. Encore un qui ne survivra pas à la traque.

Trop souvent j’en ai vu, en sueur, épuisés, l’écume aux lèvres, qui tentaient d’échapper à leurs poursuivants. J’ai croisé leurs yeux hallucinés, senti leur frayeur aux relents acides, j’ai suffoqué à l’asphyxie de leurs poumons, j’ai subi les souffrances de leur cœur dilaté … et connu les renoncements de leurs muscles… et comme eux, tant de fois, je me suis demandé ce qui arrivait !

Maudite soit la chasse… qui n’est qu’une variante de la guerre !

Ch.C. le 19/11/2006



26/08/2007
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