Périgord souterrain
Le Périgord souterrain : un chant profond à la gloire des cavernes
Plus d'un demi-siècle après sa parution, l'ouvrage phare de Bernard Pierret était devenu rarissime voire introuvable même dans les librairies anciennes. Les éditions Lorisse viennent, en cette fin d'hiver 2004, de le rééditer, pour le plus grand bonheur des amateurs de ténèbres.
1953 : des presses de l'imprimerie Montignacoise de Gabriel Leymarie sort, sans tambour ni trompette, un petit livre broché, format 14x19, de 160 pages, contenant une vingtaine d'illustrations hors texte. Son sujet : le Périgord souterrain, lui a imposé ce même titre. Le tirage, en souscription, est modeste, tout juste un millier d'exemplaires dont la diffusion s'avère, à l'époque, besogneuse. L'auteur, âgé de 25 ans, s'est déjà taillé, pourtant, une réputation méritée de spéléologue d'exception dans le milieu des amateurs d'abîmes ! Sa première publication remonte à 1947. Accueillie par la revue « Les annales de spéléologie» elle retrace les explorations souterraines effectuées l'année précédente en Dordogne par ce jeune étudiant parisien, membre du club alpin français, passant « habituellement ses vacances chez ses grands- parents à Périgueux . » comme en témoigne le préhistorien Gilles Delluc (1) qui fut, dès 1948, l'un de ses proches amis.
En septembre 48, Bernard Pierret a fondé le Spéléo-club Périgourdin qui, un an plus tard, prendra le nom de Spéléo-club de Périgueux. Sa passion impérieuse des cavernes s'accommodant mal des intermèdes parisiens que lui impose la préparation à une licence de sciences naturelles, il opte pour une formation d'instituteur, gage d'un retour rapide dans cette région où tout, en matière de spéléologie, reste à inventer et à faire. Le futur enseignant a l'étoffe et la carrure des pionniers. Menton volontaire, regard énergique, « solide brosse blonde vaguement rousse, taillée net » le président du S.C.P. en impose à ses coéquipiers, en dépit ou grâce, peut-être, à l'apparence « froide et même un peu rigide » qu'il affecte. Il cache, en réalité, sous cette dureté « une très profonde sensibilité, une extrême pudeur de sentiments »… et c'est ce que dévoilent, sans détour, les pages de son Périgord souterrain, d'une élégance et d'une retenue toutes classiques.
L'ouvrage, destiné au grand public précise Gilles Delluc, qui n'ignore pas que les textes de vulgarisation sont les plus délicats à écrire, est un petit chef-d'œuvre. Pas surprenant car, si l'auteur possède une culture raffinée, il est également un conteur émérite et n'a pas son pareil pour « expliquer, à la vue d'un paysage, et sans avoir l'air d'y trop toucher, le pourquoi et le comment du modelé de telle vallée ou de l'érosion de tel accident de terrain. ». Des cinq cents cavernes qu'il a déjà parcouru en compagnie de ses camarades du club périgourdin et des Eclaireurs de France, Bernard Pierret ne retient que les plus significatives d'entre elles, celles qui évoquent éloquemment « les visages multiples que cachent, dans leur nuit éternelle, les tréfonds du Périgord ». Son livre, en effet, n'a rien à voir avec un quelconque inventaire ; il ne prétend pas à l'exhaustivité et ne sombre jamais dans la sécheresse taxonomique*. Le Périgord souterrain est l'œuvre d'un cavernophile, d'un poète sensitif des ténèbres mâtiné de géomètre rigoureux, d'un naturaliste respectueux qui jamais ne repousse le souffle de l'aventure. Norbert Casteret dut être sensible à cette approche voisine de la sienne et il accorda une agréable et élogieuse préface à son jeune émule.
Après avoir présenté, dans une première partie, les nombreuses cavités touristiques alors ouvertes au public dans le département : Lascaux, Proumeyssac, les Combarelles et Font de Gaume… les grottes du jubilé de Domme, du Grand-Roc aux Eyzies, celle de Brantôme aux remarquables bas-reliefs rupestres ou l'abri de Cap-Blanc…, l'auteur conduit son lecteur dans quelques-unes des « mille et une autres cavernes » sauvages de Dordogne au gré d'un itinéraire qui lui fera franchir « la grande aygue » bien loin et bien au sud des humbles cours d'eau du Nontronnais. Avec talent il décrit, comme les lui a dévoilé l'éclairage fuligineux de sa lampe à carbure, les paysages âpres et tourmentés du ruisseau souterrain de Beaussac qui s'épanche dans la Nizonne, ceux engendrés par les flots hypogés, souvent colériques, de la Reille ou des Douymes qui revoient le jour aux rives de l'Auvézère et du Cern. Ceux, -extraordinaire dentelle de pierre patiemment sculptés par la corrosion- qui ont fait la renommé du fastueux Trou du Vent serpentant sous le causse de Bouzic ; ceux encore, délicats ou massifs décors de calcite, du ruisseau souterrain de Vignerac prés du Change, de l'Eydze des Combes de Pau au-dessus de Terrasson ou de la grotte de La Brauge dont les alluvions argileuses sont le seul obstacle à la contemplation de panneaux de très belles et très grandes concrétions excentriques. Ceux, toujours, que révèlent les longs et monotones méandres de la Font-Anguillère sans doute la plus célèbre caverne du Bergeracois. Ceux enfin de la grotte géante de Miremont ou Cro de Granville devenue, à partir de 1956, grotte de Rouffignac qui superpose à un réseau actif constitué d'étroites et profondes diaclases l'impressionnant dédale de ses énormes galeries fossiles au flanc et au plafond desquelles défilent, en silence, depuis des millénaires, d'exceptionnelles hardes de mammouths. De mammouths… et de rhinocéros, lesquels figurent, bien visibles en arrière plan, sur le cliché inséré dans le livre, que Pierret, en déclenchement différé, a pris de lui-même devant la tente du camp souterrain 1949 en compagnie de son ami de toujours le Dr vétérinaire Marc Latour (2).
Dans la suite de ces claires et précises photographies littéraires il est des pages du Périgord souterrain qui semblent bien de la même veine que celles de l'illustre préfacier Norbert Casteret ; le récit que fait Bernard Pierret de son exploration, avec G. Delluc et R. de Faccio, du ruisseau souterrain de Gaulezat découvert « au fond des vallons qui s'allongent mollement entre Montignac et Auriac » est, tout bonnement, captivant et le lecteur n'a aucun mal à s'identifier aux trois spéléologues aux prises avec l'effrayante argile aspirante du cours d'eau transformé en courant de boue qu' il s'agit, pour eux, de remonter…
Lorsqu'en 1967 l'auteur disparaît, à l'âge de 39 ans, emporté par une crise cardiaque soudaine et imprévisible son « Périgord souterrain » est épuisé depuis longtemps et il fait déjà l'objet d'une traque acharnée de la part d'une nouvelle génération de spéléologues avides de connaître les premières et riches heures d'une discipline que d'autres techniques de progression ne vont pas tarder à bouleverser de fond en comble. Plus tard, avec l'apparition d'une spéléologie consumériste, il deviendra un texte refuge, un texte quasi mythique témoin d'un temps ou existait encore une certaine éthique paisible de l'exploration souterraine…
* Taxonomie : classification d'éléments concernant un domaine, une science
Bien des raisons, toutes excellentes, justifiaient la réédition du premier livre de Bernard Pierret ; la meilleure d'entre elles est certainement la fraîcheur de son message … Et si la modernité et l'avenir de la spéléologie étaient contenus dans ces pages d'une éternelle jeunesse ?
Christian-Alain Carcauzon
B. Pierret – Le Périgord souterrain. Réédition à tirage limité à 300 exemplaires numérotés de l'ouvrage paru en 1953. Format 14x20. 160 pages. 20 planches et 2 cartes H.T. Prix 26 €, Editions Lorisse – le livre d'histoire- En vente chez tous les bons libraires du département ou à commander au 17 rue de la Citadelle, 02250 Autremencourt.
(1) Les citations à caractère biographique sont extraites de l'article que Gilles Delluc a consacré, en 1977, à son ami B.Pierret dans la revue Spéléo-Dordogne N° 63-64.
« B. Pierret et les premières années du S.C.P. »
(2) L'authenticité de ces figurations ayant été récusée, quelques années plus tôt, par le Directeur de la circonscription préhistorique, les spéléologues périgourdins vont, en 1956, se voir dépossédés de l'antériorité de leur découverte tandis que la hargne de nouveaux « inventeurs » Ariégeois, L.R.Nougier et R.Robert, va conduire les uns et les autres à s'affronter dans une regrettable « guerre des mammouths » dont les chercheurs méridionaux ne sortiront pas grandis.
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