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St Crépin de Richemont : le pays des tailleurs de meules

Au pays des tailleurs de meules

 

 

     En Dordogne, l'archéologie industrielle a suscité de nombreuses recherches et d'importants crédits ont été affectés à l'étude, la restauration et la mise en valeur touristique de sites longtemps négligés. Les forges de Savignac-Ledrier, les papeteries de Vaux à Payzac, celles de la vallée de la Couze ou les filatures de Savignac les Eglises et des Eyzies ont bénéficié de l' intérêt récent que portent nos contemporains aux espaces et aux techniques du travail des hommes. Cependant, du tissu économique, agricole, artisanal et industriel des siècles passés, bien d'autres témoins subsistent qui n'ont pas fait l'objet d'une telle attention ; les tailleries de meules sont du nombre. Reflet de la longue histoire de ce terroir elles apparaissent précocement, dès le second âge du fer peut-être et n'entrent en déclin qu'au début du XXème siècle (1). Mais c'est surtout à partir des XIIème et XIIIème siècles que la généralisation des moulins à eau entraîne l'ouverture de nombreuses carrières.

 

     La plupart des horizons géologiques Périgourdins ont fourni, avec plus ou moins de satisfaction, la matière première nécessaire. Calcaires meuliérisés du sud et du sud-est du département, Cénac, la plaine de Bord, la Béssède, Sainte-Sabine…Calcaires jurassiques : site de Pommier, La Chalussie à Savignac les Eglises…Calcaires angoumiens ou coniaciens : Combe-Saulnière à Sarliac sur l'Isle, Moulin de Vigonac à Brantôme, site de Jovelle à La Tour Blanche…Grés de la Double…

Au sud-ouest de Nontron, c'est un tout autre matériau qui a été utilisé. Il s'agit d'alluvions consolidées du Tertiaire continental qui se sont mises en place sur  les couches calcaires crétacées santoniennes et campaniennes. Dans la commune de Saint Crépin de Richemont, ces formations, édifiées avant l'incision des vallées actuelles,  subsistent en position interfluviale de part et d'autre du Boulou notamment ; elles présentent une grande complexité stratigraphique avec alternance de strates de granulométrie variable. Ce sont le plus souvent des bancs à texture grossière (sables grossiers, galets en quartz ou en arkose silicifiée) qui ont été exploités par les carriers locaux.  Onze carrières principales ont été recensées dans la seule commune de Saint Crépin ; d'autres existent dans les communes voisines de Cantillac et de Champeaux. Elles sont de trois types : en tranchée, en cuvette ou de front de falaise et toutes ont livré divers vestiges permettant d'induire quelques-unes des techniques d'extraction et de façonnage mises en œuvre. Blocs en cours de débitage ou débités, meules brisées à différents stades de leur exécution, produits finis prêts à être acheminés…

 

     Des prospections, rendues difficiles par l'absence de sentiers et par l'importance de la végétation forestière mise à mal par la récente tempête de l'hiver 1999, ont cependant permis la découverte, à côté de meules monolithes roulantes et dormantes destinées à l'équipement de moulins à eau, de meules domestiques gallo-romaine et de tradition gallo-romaine ( méta, catillus fragmentés ou entiers ) de bacs et de mortiers. Dans le bassin de la Dronne, de nombreuses villas des 1er au 4ème siècles ont utilisé ces productions. Ces différentes trouvailles attestent la diversité des fabrications réalisées sur place ; information que renforce dans les habitats alentour  le remploi en maçonnerie des rebuts de taille ou de pièces ratées.

 

     La majeure partie des carrières répertoriées a été totalement délaissée dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, époque où les meules monolithes, de fabrication délicate, lourdes et de transport malaisé deviennent obsolètes. On leur préfère alors les meules composites en plusieurs quartiers nommés carreaux, assemblés au moyen de plâtre ou d'un ciment spécial et cerclées de fer. Celles, monolithes, qui demeurent en plac,e intactes ou simplement inachevées sur les différents sites parcourus, prouvent bien l'effondrement de la demande des meuniers du Bandiat, de la Nizonne, de la Belle et du Boulou (et, plus largement, de la Dronne).

Privées de ces débouchés, les tailleries disparaissent les unes à la suite des autres. Débâcle économique aux conséquences certainement tempérées par le fait que cette activité était prise en charge à titre secondaire par une certaine couche de la paysannerie locale et que, pour pallier l'extinction de cette activité spécifique, les exploitants sont souvent revenus à une plus classique fourniture de matériaux destinés à la construction (2). C'est ainsi qu'en plein pays calcaire l'architecture vernaculaire a revêtu une robe grise siliceuse qui rappelle le Limousin.

 

 

     L'archéologie permet de dater de la fin de l'indépendance gauloise et, tout au moins, des premiers siècles de notre ère, la mise en service des tailleries de meules de Saint Crépin de Richemont. Très facilement identifiabl,e la roche gréseuse qui a servi à la fabrication des meules rotatives, dont on retrouve en grande quantité les fragments épars sur les principales villas ou vicus régionaux, ne peut guère en effet provenir que de cette fraction du territoire départemental ; Durant prés de 18 siècles le martèlement répétitif des pics des carriers a retenti au faîte des coteaux enserrant la petite localité nord-Périgourdine. Au gré d'improbables pistes sillonnant leurs pentes raides, des centaines, voire des milliers, de meules monolithes ont été péniblement acheminées dans la vallée du Boulou . De là elles furent expédiées dans toute la région. (3). 

Aujourd'hui, toutes les hauteurs impropres à la culture d'où elles furent extraites sont retournées au silence et s'abandonnent désormais à la lande silicicole et à la forêt.

 

Christian-Alain Carcauzon

 

 

(1)Moïse Teyssandier relate, dans Barbasse, souvenirs d'un ouvrier Périgourdin (imprimerie Périgourdine Périgueux 1928) la longue et dure grève des ouvriers meuliers de Cénac qui « poursuivis, chassés, traqués, emprisonnés, résistèrent quand même plus de trois mois » en 1908.

(2)Quand ces débouchés de proximité garantissent, comme, en particulier, aux Brajots (l'actuel Brageaux de la carte I.G.N.) la poursuite de l'exploitation,  les entrepreneurs sont toujours des « Cultivateurs et carriers » comme l'atteste l' acte notarié, daté du 18 août 1827 passé entre Pierre et François Chopinet devant maître Darvand « notaire à la résidence de la ville de Mareuil, Dordogne) »

(3) En Charente leur présence est attestée à plusieurs reprises et elles équipent notamment le moulin de La Mouline à Combiers, comme le confirme encore en 1831 le contrat d'affermage cité par Mme Michèle Aillot dans son récent ouvrage «  Moulins et forges du canton de Villebois-Lavalette. »

 

 

           

 

Honnêteté scientifique : S'il y a bien une qualité qui n'étouffe pas les milieux archéologiques dans leur ensemble c'est véritablement l'honnêteté scientifique.

      Dès ses premiers pas cette discipline en accusa gravement le manque. Qu'on se rappelle, parmi des dizaines de faits plus affligeants les uns que les autres ayant eu la Dordogne pour théâtre, Peyrony revendiquant la découverte des gravures de la grotte de Teyjat mises au jour par Pierre Bourrinet ou Nougier et Robert refusant, en 1956, de reconnaître l'antériorité des premières observations des figurations animalières de Rouffignac par les spéléologues de l'équipe Pierret…

      Révélés en Périgord vert, par Christian Carcauzon, les sanctuaires paléolithiques de Jovelle (La Tour-Blanche) Fronsac (Vieux-Mareuil) La Font-Bargeix (Champeaux-et-la-Chapelle-Pommier) et La Croix (Condat-sur-Trincou) se découvrent chaque année de nouveaux inventeurs tandis que disparaissent des références bibliographiques les études originales qui leur ont été consacrées durant la décennie 80.  Obstinément, quoique 2 d'entre eux aient été qualifiés d'importance mondiale par le ministère de la culture, ces sites ne sont mentionnés dans aucun ouvrage édité dans le département alors qu'ils figurent en bonne place dans tous les textes nationaux et internationaux importants consacrés à l'art préhistorique.  Le pouvoir Stalinien ne procédait pas autrement pour modeler les mémoires et travestir la vérité.

      Au sein de l'Adrahp (Association pour le développement de la recherche archéologique et historique en Périgord), qui tente désespérément de s'imposer face à sa rivale la SHAP certains de ses adhérents sont tentés par ces procédés peu élégants. C'est le cas de MM André Guillin et Joël Tranchon qui assurent avoir découvert (1)les tailleries de meules monolithes de Saint-Crépin-de-Richemont… inventoriées en 1986 par Ch. Carcauzon et publiées dès cette époque dans la PQR et la presse magazine locale puis en 1988 dans la Revue Archéologique Sites.

      Nul doute que bientôt, d'autres, plus audacieux, s'enhardiront, reprenant d'anciens comptes-rendus de l'auteur, à prétendre qu'ils sont à l'origine des centaines d'observations de ce dernier. D'ailleurs ça a déjà commencé : il en est qui, benoîtement, prétendent avoir mis au jour, presque 2 ans après leur publication dans « Le Périgourdin », le cimetière rupestre des Combettes ou les cluzeaux et la grange médiévale de La Jardonnie à Vieux-Mareuil.

      Mais de ces tristes et insupportables gamineries il vaut mieux rire que pleurer !

(1) Si l'on en croit Alain Bernard qui publie cette information, communiquée par l'Adrahp, dans un article pleine page, en 4e de couverture de l'édition Sud-Ouest Dordogne du 24/6 «  Gaulois et au-delà. Atelier de fabrication de meules, des temps gaulois jusqu'au XIXe siècle, découvert sur plusieurs centaines d'hectares à Saint-Crépin de Richemont par André Guillin et Joël Tranchon. »

 

Sud-Ouest dans son édition du 12/1/2007 rend compte, sous la signature de P-M Réault, des efforts déployés par MM Chevillot, Guillin et Tranchon pour suggérer qu'il  sont les inventeurs et premiers descripteurs des tailleries de meules monolithes de Saint Crépin de Richemont inventoriées  dès 1986, par Ch.Carcauzon et publiées à maintes reprises dans la PQR, la presse Magazine et en 1988 dans la revue Archéologiques Sites (1). Avec la complicité du quotidien qui n'en est pas à son coup d'essai puisque sous la plume d'Alain Bernard il avait déjà en juin dernier tenté d'accréditer la thèse de la redécouverte du site par les membres de l'ADRAHP, ces derniers réitèrent, en ce début d'année, leur opération .

La méthode employée n'est pas nouvelle …

La présente tentative de falsification n'est pas davantage un cas isolé. La paternité de la découverte de la plupart des sites archéologiques (grottes ornées paléolithiques innombrables souterrains médiévaux, avens ou grottes sépulcrales Artenaciennes ou Latèniennes... réseaux karstiques divers que ce dernier a mis au jour) est  aujourd'hui revendiquée par d'autres malgré des dizaines de publications parues en leur temps dans divers supports attestant le contraire. En Périgord les archéologues « Coucous » sont experts dans l'art de déposer leurs oeufs dans le panier d'autrui. Ils savent, en outre, pratiquer  avec le concours de la presse locale, la réécriture des événements. 

Comme chez les soviets ! Ô Tintin !

 

(1) le livre de Ch.Carcauzon Découvertes souterraines en Périgord Le Roc de Bourzac 1992 consacre 4 pp avec carte H.T et photo au site de Saint Crépin

 

Pour en savoir plus consultez sur https://argentine24.blog4ever.com  notre article illustré mis en place sous la rubrique Patrimoine « Saint Crépin de Richemont : au pays des tailleurs de meules »

 



08/09/2005
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